Pour les besoins d’un projet, je me suis amusé à (re)voir La corde de Hitchcock, de 1948. C’est assez particulier puisque conçu quasiment comme du théâtre filmé, en longs plans séquences, belle prouesse artistique et technique, et basé sur un suspens essentiellement psychologique, sans musique, avec des dialogues très écrits. Théâtral donc.
Le dispositif est assez pervers (Hitchcockien), il s’agit de deux étudiants (un fragile dominé, un psychopathe dominant) qui mettent en pratique la théorie de leur ancien prof de philosophie, espérant ainsi gagner son estime, à savoir que certains êtres sont supérieurs et ont le droit de vie et de mort sur les humains qu’ils estiment inférieurs. On sort à peine des horreurs de la seconde guerre mondiale et du nazisme.
Le film commence donc par l’exécution d’un supposé inférieur, dans leur appartement (nous apprenons vite qu’il s’agissait d’un ami). Le crime est odieux, réalisé froidement, rapidement comme une expérience sur un rat de laboratoire.
Puis tout le film s’organise autour d’un diner où sont invités le père et la mère de la victime, sa petite amie, l’ex de cette petite amie, et évidemment le prof de philosophie des 2 compères hôtes.
Le repas est servi sur un buffet, dans lequel se trouve le cadavre de l’étudiant assassiné…
Commence le jeu du chat et des souris.
Mise en scène perverse du tueur psychopathe, d’Hitchcock, qui nous contraint à nous identifier au psychopathe, et à jouir avec lui de ses manipulations diaboliques sur son entourage. Le malaise nous envahit.
Bien sûr au final les tueurs se font démasquer par le prof de philosophie, effrayé qu’on puisse mettre en pratique des théories qu’il professait, certes de façon un peu légère et irresponsable. Il s’est fait piéger, mais de la théorie au passage à l’acte il y a une frontière, essentielle, qui sépare l’homme civilisé du barbare. Voilà qui fait toute la différence entre le professeur et les tueurs. Voilà pourquoi il ne leur ressemblera jamais, il choisit la civilisation, alors qu’il eut eté si facile de faire justice soi-même, un pistolet à la main.
Il laisse la société juger, société qui, il en est certain, les condamnera à mort pour ce crime…Et par conséquence s’octroiera un droit de vie et de mort…
Et d’un coup, tout le formidable et complexe édifice du film s’écroule.
Refuser de donner la mort soi-même mais laisser ce soin à la société, quelle différence? Aveu d’une société pas si civilisée que ça, où l’instinct de vengeance du groupe se substitue à celui de l’individu.
Justifier la peine de mort comme un instrument de justice civilisé est totalement incongru. Terrible lapsus. L’inconscient de l’époque se trahit, dévoile sa propre barbarie. On objectera que la peine de mort paraissait une évidence dans l’Amérique des années 40 (et cela reste le cas dans pas mal d’Etats), mais c’est justement ce qui est consternant. Cela montre que malgré toute la sophistication du film, les dialogues subtils, digne d’une discussion philosophique pointue, la boue dont nous sommes fait remonte là où ne l’attendait pas, et prend Hitchcock (ou son scénariste, son producteur) à son propre jeu. Exactement comme le professeur de philosophie. Ou bien serions-nous victimes d’une ultime manipulation?..